• Exil sur planète morts-vivants

     

     

     EhSArtiste/Groupe : Hubert-Félix Thiéfaine

    Musiciens : Hubert-Félix Thiéfaine (Chant Principal, Guitare, Harmonica), Alice Botté (Guitare Principale, Chant), Jean-Philippe Fanfant (Percussions), Marc Perrier (Basse, Chant).

    Concert : Zénith de Nancy, 19 Octobre 2011.

    Tournée : Homo Plebis Ultimae Tour

    Dernier album : Suppléments De Mensonge (2011)

     

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     A l’heure des productions musicales de plus en plus soumises aux lois des majors, assurant une diffusion sans failles via la publicité, les artistes établissant leurs succès par leurs prestations scéniques se font rares. A l’ombre d’un art qui se dénature, voyage une lumière sans artifices pervers. A Nancy, Le 19 octobre 2011, se tenait là de quoi faire de l’objection d’information de masse.

    Téléportation dans une autre dimension, au travers d’une prestation musicale qui sonnerait presque comme de la contre-culture. Celle d’Hubert Félix Thiéfaine.

    L’écorché-vif

    Depuis un premier album « Tout corps vivant branché sur le secteur étant appelé à s’émouvoir » en 1978, Thiéfaine ne cesse d’offrir des horizons musicaux toujours aussi variés. Témoignant d’un panel d’influences littéralement transcendantal, son œuvre mêle à la fois poésie et musique. Les fantomes de Rimbaud, Lautréamont, Hölderlin et Baudelaire colorent entre autres ses textes et appuient son inspiration, tout comme une foultitude d’élements de la vie et de ses aléas. Entre la peur et la folie, le sexe et la mort, la drogue et la vie. Les thèmes abordés sont souvent teintés de mélancolie et d’humour cynique, avec un surréalisme depressif. Déséspoir contrebalancé par une demarche evidente allant à l’encontre de la morale et de la société. Une atmoshpère parfois digne de la beat generation, où se marie des lignes musicales diverses venant d’artistes comme Gainsbourg, Ferré, Bob Dylan, ou encore Lou Reed. Thiéfaine part sans cesse creuser dans son univers, avec comme résultat des miroirs brisés de la condition humaine ainsi que des angoisses existentialistes. Un regard nostalgique s’empare de lui lorsque la vie se dessine à ses yeux comme un passé figé, loin derrière. Ignoré des radios et refusant en parallèle de se plier à quelqueconques formatage de composition, c’est par ses tournées qu’au fil des années s’est forgé un public solide. Assez pour rendre rapidement « sold-out » pratiquement toutes ses dates. Alors qu’à ses débuts le style des morceaux tournait beaucoup autour d’un folk-rock fantaisiste mêlant des élèments éléctroniques à la fois inquiétants et mélodiques, l’approche des années 90 voit s’établir un style résolument rock. Le tournant s’opère au gré des albums, élevant ainsi de plus en plus Thiéfaine à une notoriété majeure en France. Multipliant les collaborations avec de jeunes artistes depuis le siècle nouveau, comme vecteur de son influence grandissante incontestable, il est petit à petit sollicité par les radios et quelques émissions de télévision. S’articule alors un nouveau virage musical, toujours plongé dans un gouffre lyrique et des rythmes accrocheurs. Les atmosphères se font plus intimes et solennelles, les arrangements plus ettofés et recherchées, aux couleurs symphoniques mais aussi éléctroniques. L’impact sonore se lie à une puissance emotionnelle forte qui en découle jusqu’à la sortie en 2011 de « Suppléments de mensonges » au titre emprunté a Nietzsche. Dernier album servant à la tournée « Homo Plebis Ultimae Tour » et à cette date au Zénith de Nancy.

     

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    Deux heures dans une autre dimension

    Dès 19h Le public commence à entrer progressivement dans la salle où la tension commence déjà à grimper. La configuration scénique donne le ton avec son jeu de lumières vives et entraînantes. A quel morceau cette teinte servira-t-elle ? Que réservent ces artifices métalliques à l’ombre éphémère du regard ? Autant de questions qui nourrissent l’expectatif imaginaire à la vue d’éléments qui semblent dormir avant un réveil tonitruant. Sans retard les musiciens entrent en scène. En quelques secondes les ondes sonores émanent de leurs instruments. Une mise en abîme entre quelques accords de guitares, quelques notes profondes de basses ainsi qu’un frémissement évasif de percussions. Un nappage atmosphérique dans l’obscurité incandescente de la salle. Les projecteurs s’éveil au fur et à mesure du son. Pourquoi la tension ne redescend-t-elle pas ? Les musiciens installent avec brio une ambiance contemplative. L’intensité du son se dote d’un crescendo minutieux. Une silhouette en mouvement se distingue. Elle intègre posément la scène et attire tous les regards. Le voilà, Thiéfaine, armé de sa guitare et de son harmonica. Il s’avance en souriant vers son micro. Le groupe est au complet et le chant commence à résonner. Ce n’est que les premières paroles émises qui permettent d’identifier le morceau : « Annihilation ». Une surprise de taille. La chanson, rare qui plus est, ne figurant pas sur le dernier album, ce qui est l’inverse d’un cas traditionnel où une tournée sert à promouvoir un album récent. En dehors des règles et des conventions, Thiéfaine ouvre la porte de son monde sans complexes, prenant les rênes de la soirée par le cœur des spectateurs. Un pari osé de plus de huit minutes, qui immerge entièrement par une cohésion immédiate entre les artistes. Les paroles flottent dans les esprits et s’y collent, avec toute cette subtilité qui demeurerait des années avant quelconque élucidation. Une démonstration de maîtrise. Les musiques se succèdent et sont presque toujours remaniées dans une optique rock enivrante. Un détonnant mélange passé/présent dont la coexistence n’a d’origine que l’envoûtement musical dont il témoigne. Un sentiment électrique parcourt la salle. La complicité s’affiche au fil des notes entre Thiéfaine et les musiciens qui l’accompagnent. L’énergie communicative et électrique du groupe est comme dictée, des élans accrocheurs de « Sweet amanite phalloïde queen » aux envolées en apesanteur de « Mathématiques Souterraines ». L’impact émotionnel est fort durant la prestation de  « L’étranger dans la glace », morceau relatant avec une fatalité sinistre les méfaits de la maladie d’Alzheimer. Après un premier rappel, le public métamorphosé scande son désir musical aux chœurs de « la fille du coupeur de joints » dont les ondes magnétiques résonnent encore. Mais avant d’enchaîner à la demande générale d’yeux et d’oreilles pétillantes, le poète interpelle son auditoire avec une touche d’humour. Une hargneux mécontentement qui fait sourire. Au bout de quelques minutes les artistes resurgissent sur scène. Le dernier morceau, « Lobotomie Sporting Club » trace dans les têtes un clin d’œil symbolique, martelé par les paroles « lobotomie-média, propaganda flippée ».

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    Après ce concert, c’est bel et bien un retour sur terre qui est à l’œuvre. L’univers d’Hubert Félix Théfaine vient d’être vécu. Un univers ouvert à un décodage allant de pair avec la trace indélébile que laisse le moins conventionnel des artistes de la chanson Française. Loin de l’aseptisation des médias, loin du paradigme de l’expression « vivre avec son temps ». Un pur moment de défense artistique, qui peut aller faire réfléchir bien des consciences inconscientes en haut de l’industrie. Car lorsque l’on touche à l’art, on reconnaît plus facilement ce qui n’en est pas. 
     
     
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  • Un regard sur les productions artistiques non subordonnées à des dogmes, à des impératifs commerciaux ou encore à une démagogie aveuglante. Centré sur l'univers du cinéma, ce blog ne s'efface pas pour autant d'autres arts dont il est temoin avec un desir salvateur de partages mais aussi de dénonciations.

    Prochains regards (Programme 2012) : 

    Jeu-vidéo : Red dead redemption, de Rockstar Games

    Films :  - Les sentiers de la gloire (Paths of glory), de Stanley Kubrick

                  - L'ordre et la morale (Etude d'une Séquence)

                  - Le territoire des loups (The grey), de Joe Carnahan

                  - Network, de Sydney Lumet

                  - Videodrome, de David Cronenberg

    Albums : - Wrecking Ball, de Bruce Springsteen

                    - Hara-kiri, de Serj Tankian

                    - Jours étranges, de Damien Saez

                    - Bande Originale du jeu-vidéo Red dead redemption (& Undead nightmare)

                    - Bande Originale de la trilogie du Seigneur des anneaux, d'Howard Shore

    Musiques : - Lucky Town, Born in the U.S.A, & The ghost of Tom Joad, de Bruce Springsteen

                        - Aerials, de System of a down

                        - Celeste, de Damien Saez

                        - Guerilla Radio, de Rage Against the machine

                        - L'étranger dans la glace,d'Hubert Félix Thiéfaine

                        - Empty walls, de Serj Tankian

                        - Until the end, The Nightwatchman

                        - Escape from New-York (Main Title) - John Carpenter & Alan Howarth        

     

     

     


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  • La Honte d’être Français :

    Film : L'ordre et la morale

    Date de sortie : 2011

    Réalisateur : Mathieu Kassovitz

    Producteur : Christophe Rossignon

    Musique originale : Klaus Badelt

    Photographie : Marc Koninckx

    Scénario : (D'après La morale et l'action de Philippe Legorjus), Mathieu Kassovitz, Pierre Geller, Benoît Jaubert.

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    Avril 1988, Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Des indépendantistes Kanaks attaquent une gendarmerie. L’action maladroite sera suivie d’une large prise d’otage à la volonté purement symbolique. Depuis plusieurs années déjà la tension grimpe sur la petite île située à des milliers de kilomètres de la capitale. Loin d’une France pulsée par l’effervescence médiatique des présidentielles. Loin d’un pays qui s’apprête à ajouter un éclat sombre et trouble à son miroir déformé. Aussitôt c’est un véritable raz de marée obscure qui écrit sa première page sur un tout petit territoire. Entrée en matière titanesque et disproportionnée que constate d’abord le capitaine Legorjus, responsable des membres du GIGN envoyés. Car à côté de cette réponse logique en une telle situation, c’est une véritable armée qui est déployée sur place. L’intervention devient dès lors une affaire d’Etat rigide aux enjeux qui dépassent la simple dimension évènementielle. Les jours passent et l’avancée des négociations se révèle dérangeante pour les hauts-responsables militaires ainsi qu’au sein du gouvernement. Rien ni personne ne peut s’opposé aux décisions. L’affaire doit être réglée au plus vite, confortée par des médias muselés et des propos fantasmatiques. Le jour J, noyé dans une nature dense, un assaut de choc est lancé. Tout peut ensuite reprendre comme avant. Presque comme avant…Un massacre, tel est le nom interdit, lourd de sens, qui plane tristement dans l’air. Il faudra attendre plus de dix années avant de trouver un cinéaste sincère et intègre, désireux de porter un regard à la fois interrogateur et d’une fidèle cohérence sur ce cauchemar parmi tant d’autres.

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    Syndrome hypocrite 

     A l’horizon du nouveau millénaire, le réalisateur Mathieu Kassovitz s’intéresse de près au sujet, se basant notamment sur le livre de Philippe Legorjus, La morale et l’action. Prémices d’un travail acharné qui s’étalera jusqu'à l’approche de la décennie suivante. L’idée de réaliser un long-métrage se concrétise de plus en plus malgré les nombreuses difficultés qui seront rencontrées tout au long de la pré-production : Convaincre la population locale d’Ouvéa de participer à une douloureuse réminiscence, tenter d’obtenir le soutien de l’armée et le financement d’un film encore dans un état indécis. Chaque piste tendant vers des vecteurs de renforcement du contexte investi. D’une part du côté militaire les appels se heurtent à un refus catégorique de soutien. D’autre part la confiance des Kanaks est concrètement nouée grâce à la décision du réalisateur d’incarner le rôle principal du capitaine du GIGN, centre névralgique d’une histoire qui divise autant qu’elle est mise en lumière. Jusqu’ici du moins. En parallèle les recherches d’archives, les témoignages, indiquent une volonté intouchable de coller plus que jamais à la justesse historique. Et pourtant, ces démarches laborieuses mais animées d’une réelle indignation galvanisante vont tomber dans de véritables agitations démesurées. Réactions orchestrées par les tenants d’une forme de pensée qui ne renieraient non sans honte la censure. Les faits surgissent et s’amorcent déjà en 2009 lors de l’émission « Ce soir ou jamais » sur France 3. A l’époque Mathieu Kassovitz, interrogé au sujet des attentats du 11 Septembre 2001, affirme qu’il remet en cause la version officielle maintes fois vendue et exploitée. Il émet des doutes exprimés de manière légitime, qui ouvrent le débat autant que l’esprit. Mais le lendemain c’est un colossal lynchage médiatique qui s’étend sur ses dires, et chose déterminante, sur sa personne. Une rhétorique de disqualification qui sonnera le clivage profond d’une France conditionnée par des mythes destructeurs. Quand bien même ils touchent à un autre pays, ils demeurent inéluctablement liés par un paradigme de pensée aliénant. Autant de morsures sévères qui amènent à envisager une approche cinématographique fracassante de la part du cinéaste. Sans doute a-t-il été influencé, comme tout être humain, mais c’est pourtant avec un recul impressionnant que L’ordre et la morale défile sous les yeux.

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    Voyage au bout de l’enfer 

    Dès les premières images une tension tend à s’installer et immerge glacialement le spectateur, jusqu’à déchainer une atmosphère insoutenable. Résultante du point de vue graduellement tiraillé et associé au personnage principal. Le montage témoigne avec subtilité d’un travail cinématographique vraiment initié dans le second film de Mathieu Kassovitz, La Haine. La présence d’un indice horaire par exemple, ajouté au commencement du film par un retour en arrière depuis la fin. Ici sous forme de décompte, la marche inexorable du temps appuie constamment le contraste qui nait entre les personnages et le champ de ruines larmoyantes se substituant à l’esprit d’un homme. Un homme littéralement phagocyté par un système carnassier. Un homme isolé et renvoyé à son essence psychique la plus révélatrice. Un indice maladif d’une sphère de pressions acerbes au-dessus de ses yeux. Car L’ordre et la morale va bien plus loin que d’offrir une retranscription déjà porteuse d’une justesse terrifiante. Récit forcément décrié car synonyme d’un évènement tabou. Réflexe historico-symptomatique Français où chaque sens s’annihile jusqu’à conditionner infiniment des yeux cloitrés devant un spectacle de marionnettistes. Tels des mythes, des croyances, qui ici font preuve d’un réel questionnement. Clé de réflexions sur une identité nationale en déroute, sur les enjeux opaques de la raison d’Etat, et surtout sur la dimension purement humaine, citoyenne renvoyée avec une noirceur émancipatrice. Le film détonne par sa construction soignée et par le fil conducteur de sa mise en scène tout bonnement prodigieuse. Prodigieuse car à contre-courant total, à des chemins si lointains et différents de la production cinématographique actuelle sur la nation tricolore. Là où l’accueil des tenants de la critique s’obstinait à démonter l’œuvre par ses bases historiques, elle ne fait que s’ancrer d’avantage dans son regard flagrant. Envolées aveugles d’une ampleur cataclysmique qui oublient une mise en scène qui flirt avec une maitrise du langage cinématographique stupéfiante. Elle embrasse le propos filmique avec un amour du cinéma digne des grands cinéastes américains. Une beauté transcendante des cadres faisant échos aux univers de Stanley Kubrick ou de Terrence Malick. Mais aussi une attention cérébrale à la conception et à la réalisation de chaque plan pour une pureté évocatrice dans la grande tradition classique du pays aux 50 Etats. Un chemin emprunté là où Howard Hawks, Sydney Lumet ou encore Clint Eastwood lui ont donné une route aux accents éternels. Enfin, et peut-être pour la première fois dans l’histoire du cinéma en France, se dessine une véritable remise en cause d’un système politique et morale en partant d’un évènement source. De là, une descente aux enfers emporte peu à peu le témoin principal de la même manière dramatique si intimement liée au cheminement d’un Serpico. Analogue à l’autopsie de mythes et croyances qui planent dans les dépeintures soucieuses de Michael Cimino. Un Témoin qui devient désenchanté dans une spirale de blessures à l’impact humain abyssal. Désenchanté puis meurtris. A jamais. 

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    L’ordre et la morale se pose presque comme un chef d’œuvre. Dénomination qui longtemps encore après la sortie du film se heurtera à une doctrine fermée, à un carcan hexagonal. Tout comme les autres films de Mathieu Kassovitz, démontrant par la même occasion qu’il est sans doute l'un des plus grands metteurs en scène Français contemporains, ce voyage funeste est atemporel. Tout ce qui n’est pas dans le temps, synonyme de conformité ou inverse de la subversion, est souvent incompris par des esprits fanatisés aux raisonnements partisans absolus. Qu’à cela ne tienne, la voie est désormais ouverte au peuple tout entier.


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